Autrefois symbole de lenteur et de maîtrise, le luxe s’est mis à courir. Huit collections par an, des sacs déjà démodés, des envies qui durent à peine le temps d’un like : le luxe aujourd’hui doit réapprendre à ralentir.
À vouloir séduire sans relâche, la mode s’essouffle plus vite qu’elle ne se renouvelle vraiment. Et le luxe, lui, n’y échappe plus : des pièces à peine sorties d’atelier se retrouvent déjà en revente. Le temps du désir s’est raccourci, celui de la valeur aussi. Je constate de plus en plus que la revente s’impose, mais à des prix qui traduisent une forme d’abondance.
Karl Lagerfeld fut l’un des premiers à imposer ce rythme chez Chanel, avec ses défilés-spectacles et ses collections à répétition. Depuis, la cadence est devenue la norme. Aujourd’hui, entre saisons, pré-collections, capsules et collaborations, certaines maisons sortent jusqu’à huit collections par an contre deux ou trois il y a vingt ans. Une accélération qui nourrit le désir immédiat, mais qui fabrique une rareté éphémère, presque jetable.
Le luxe doit réapprendre à ralentir.
Certains sacs, adulés lors de leur sortie, perdent désormais la moitié de leur valeur en un ou deux ans. Gucci, avec ses Dionysus ou Marmont, en est l’exemple typique. Jacquemus aussi : son « Chiquito », devenu viral, a fini par être produit à l’excès. Et chez Balenciaga, les crises d’image récentes ont montré à quel point un engouement peut s’effondrer du jour au lendemain. Je repense à ces sacs que je voyais passer avec une certaine émotion, et qui aujourd’hui ne suscitent plus rien.
À l’inverse, quelques maisons continuent de cultiver la rareté et l’intemporalité. Hermès, avec ses « Birkin » et « Kelly », maintient une offre maîtrisée, une demande toujours supérieure, et donc une valeur stable, voire croissante. Chanel suit une logique comparable, protégeant ses modèles iconiques et limitant l’accès à certains. Ces maisons préservent ce que beaucoup ont perdu : la distance, et donc le désir. J’admire celles qui savent encore dire non, au risque de frustrer.
Mais au-delà de ces exceptions, la plupart des marques souffrent d’un même mal : la banalisation. Produites en trop grand nombre, leurs pièces se revendent difficilement, parfois avec une décote vertigineuse. Ce trop-plein finit par se répercuter jusque dans la revente, où l’abondance brouille les repères et affaiblit la notion même de valeur. Je le constate aussi dans la seconde main : quand trop circule, plus rien ne se distingue vraiment.
Car le marché du luxe et celui de la seconde main avancent désormais de concert : quand l’un s’accélère, l’autre s’ajuste. L’excès du premier alimente le second, tout en le poussant à se réinventer. Face à l’afflux de produits et à la saturation du désir, le marché secondaire devra, lui aussi, évoluer : apprendre à sélectionner, à hiérarchiser, à redéfinir ce qui fait sens.
Quand trop circule, plus rien ne se distingue vraiment.
C’est tout l’écosystème du luxe qui entre dans une phase de mutation, des ateliers, aux plateformes de revente, des vitrines aux écrans. Un moment charnière où l’abondance force chacun à revoir sa mesure, et peut-être, enfin, à redonner du temps au désir.



