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T’es où ?

  • Franck Belaich, PhD, Expert luxury management
  • 1 septembre 2025

VOUS ÊTES ICI. Vous êtes ici, je suis là-bas. Vous êtes ici, c’est Google Earth qui le dit, au point précis de la faille spatio-temporelle, là où le temps qui passe embrase l’espace avec elle, là où le rêve demeure ici, où bat ce cœur et ce rêve galopant de se fondre vivant dans l’instant, de se fondre vivant, pourtant. Vous êtes ici, localisés à San Diego ou à Dehli, sur Mars ou en Pennsylvanie. Est-ce moi, est-ce toi qui rêve, est-ce ta personne vivante qui rêve que je suis ici.

Bertrand Burgalat (Album : Rêve capital / 2021)

Depuis l’apparition du portable et plus globalement de toute la téléphonie mobile, les communications ne commencent jamais plus par la demande d’identification de l’interlocuteur type «qui est-ce ?» mais par le fameux et déjà mythique « t’es où là ?». C’est peut-être parier trop sur notre naïveté que d’y voir, comme les publicitaires, la preuve que nous manquons de l’image : nous aurions besoin en permanence et en continu de matérialiser, d’imager, situer la présence de notre interlocuteur.

Vers où va notre voix ?

Il y a de toute évidence un vrai problème de « virtualisation» de l’autre, l’autre qui devient une sorte de fonction de mon appareil : celle de la communication portable, avec ses différentes dimensions.

À la question «T’es où là ?», la réponse est fatalement : «Nulle part, et toi ?».

Or, la virtualisation n’est pas le fait de l’interlocuteur seul. Par effet de miroir, à travers la communication portable, c’est le porteur du portable lui-même qui se virtualise. Du reste, nous aimons à penser qu’avec le portable, nous avons enfin acquis le pouvoir de nous abstraire des surdéterminations du lieu dans lequel nous nous trouvons.

Un exemple ?

Je m’ennuie dans un embouteillage ou un train, j’ai peur de prendre mon avion, j’attends, en salle d’attente, j’en profite (comme par hasard) pour halluciner la présence de l’ensemble de mon carnet d’adresses appelé «contacts»… Où que je sois, je suis dans un espace virtuel, je suis omniprésent, omnipotent et je possède le don d’ubiquité. Ce qui signifie qu’en «réalité», je ne suis nulle part… Pourvu que je garde le «contact», que je ne reste pas seul perdu avec moi-même.

La forêt, la ville, que je traverse disparaissent comme immédiateté car ma «réalité» devient la poursuite de ma dispute avec mon supérieur, la continuation de mon cours, la prolongation de ma conversation avec mon ami qui se trouve à des kilomètres de ce lieu que je ne fais que «traverser».

Au mieux, la forêt, le bord de mer, la salle de classe, les autres qui sont à table avec moi, deviennent un vague décor, un papier peint que d’ailleurs, grâce à la transmission d’images, nous pouvons partager dans l’espace «réel» de la communication.

De ce côté-ci, il y a effectivement un contenu fortement imaginaire. Car tant bien que mal, je suis quand même un corps situé. Avec le portable, et la fameuse question magique «T’es où là?», nous sommes pour l’autre, mais aussi pour nous-mêmes, dans un non-lieu. Dans tous les sens du terme, même au sens judiciaire de la chose. Nous sommes innocentés de la condamnation existentielle de vivre situés.

Or, il y a là une dimension fondamentale de l’existence réelle : depuis toujours, le fait de se déplacer, de sortir d’un lieu plus ou moins sûr, plus ou moins connu, pour parcourir un chemin quelconque, est identifié, plus ou moins consciemment, avec quelque chose de profondément essentiel dans la vie. On sort, on se déplace, on fait son chemin avec l’espoir «d’avancer», dans le bon sens. Il y a une spatio-temporalité qui nous définit dans un lieu concret, déterminé qui, étant celui-là, ne peut être aucun autre.

Ainsi, se déplacer, occuper différents lieux dans l’espace, a toujours été lié structurellement au fait d’expérimenter la finitude. Je ne peux être que dans un seul lieu à la fois. Le fait même d’exister est lié directement à cette matérialité du point de vue situé.

Pour couronner le tout, le rapport qui existe entre les utilisateurs de portable et leur environnement est à double sens. Leur téléphone virtualise leur rapport au monde, aux autres et à la vie en règle générale, en effaçant d’ailleurs toute angoisse propre à l’existence d’autrui en tant qu’être séparé et concret. En même temps, il crée un véritable changement dans leur psychologie. Il leur donne un certain rapport avec leur environnement, un rapport certes très narcissique, et pour le dire autrement, bariolé.

Imaginons la situation : Jean est dans le train, entouré de gens odieux qui refusent de le regarder avec tendresse et amour. Il prend alors sa baguette magique,- et appelle n’importe qui et, de façon distante, claire et nette, s’arrange pour raconter sous alibi d’interlocuteur, à tous ses voisins de wagon, qu’il vient de décrocher un important contrat, et qu’à son bureau, il est aujourd’hui perçu comme quelqu’un de très décidé et dynamique… Étrange manège des yeux que celui de Jean qui consiste à balayer du regard les autres voyageurs à la recherche du moindre feedback, de la moindre réaction. Pourvu qu’il dise à quelqu’un quelque chose, quitte à ce que ce quelqu’un soit tout wagon d’un train.

Tout le monde raconte son fantasme. Tout le monde pose son décor.

Auparavant, pour ce faire, il fallait vraiment redoubler d’efforts, créer des conditions, et une certaine dose d’hystérie était nécessaire pour dire à voix haute au contrôleur ou à son voisin que nous étions hommes d’affaires, romantiques ou passionnés ou fidèles. Aujourd’hui, le portable nous permet de raconter notre vie et notre fantasme à qui veut bien l’entendre, et surtout à ceux qui ne le veulent pas, dans l’objectif touchant de vivre entouré de regards enveloppants.

Je est un autre.

Contrairement à ce que l’on raconte, tout le monde s’arrange pour montrer tout de suite et clairement tout ce que, pourtant, il dit vouloir à tout prix cacher. Thème brûlant d’une extrême contemporanéité que celui du clivage public/privé, voire de l’intime.

La psychanalyse la plus simple nous apprend qu’en effet, les gens n’arrêtent pas de montrer en surface ce qu’ils croient constituer leur profondeur la plus dense et la plus cachée. C’est pourquoi il me semble qu’une des dimensions rendue possible par la «téléphonie mobile» est ce déballage fantasmatique en masse, et en bloc. La téléphonie comme mobile.

Un fantasme, d’un point de vue analytique, fait référence à un mode de rapport imaginaire au réel et au monde. C’est pour ainsi dire le film ou le court-métrage, avec des rôles bien définis et invariants, qui structure notre rapport subjectif aux autres. Je suis «comme ça» dans une distribution «comme-ci», et ça se passe toujours comme ça. Voilà ce que raconte en réalité un fantasme. Voilà ce que s’arrange à transmettre celui qui téléphone dans un lieu public en lorgnant compulsivement les réactions de son entourage, en cherchant à scandaliser, à attendrir, à provoquer, bref à introduire de gré ou de force les autres dans la distribution dont son scénario a besoin. Je ne parle même pas de ces individus hagards ou hilares, aliénés par d’invisibles écouteurs bluetooth, qui croisent nos chemins en hurlant, tels des patients en colère fraîchement libérés d’une institution psychiatrique. 

Connectés en permanence, au travers de multiples dispositifs, nous voulons atteindre l’immédiat, jouir dans l’immédiat, sans cesse. Et l’autre doit être là aussi, pour répondre tout de suite, afin d’annuler toute séparation.

La simultanéité des messages introduit aussi une mutation du rapport au temps : permanence de l’autre instantanément joignable. Pourtant nous n’arrivons jamais à l’atteindre. Quelque chose ne passe pas, comme si cette simultanéité annulait la présence.

Pour saisir l’instant, il faudrait que les messages s’accélèrent, que les doigts se déplacent de plus en plus vite sur les claviers ou sur les écrans, jusqu’à atteindre une simultanéité absolue. Les addictions de l’époque sont des addictions à l’instant.

Paradoxalement, la simultanéité fait sortir du temps, rend absent : absent aux autres, absent à soi-même.

A force de vouloir être présent, on reste dans la solitude, hors du temps présent, hors du monde, radicalement séparé : finalement jamais connectés.

Cette volonté d’être toujours présent, tout le temps, tout de suite, a comme effet d’être toujours ailleurs… qu’ici et maintenant.

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