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Entretien

« Le sens ne se donne pas, il se construit » : pour une nouvelle grammaire du leadership selon Philippe Silberzahn 

  • 27 novembre 2025
« Le sens ne se donne pas, il se construit » : pour une nouvelle grammaire du leadership selon Philippe Silberzahn 

Philippe Silberzahn

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Dans un monde où les modèles s’effritent et où l’incertitude devient la norme, les dirigeants cherchent encore la “bonne décision”, le “bon modèle” ou la “bonne voie”. Philippe Silberzahn – professeur de stratégie à l’EM Lyon et intervenant à HEC Paris, spécialiste des organisations – renverse ces certitudes. Dans son dernier ouvrage, Tracer sa voie dans l’incertitude, il défend une idée simple et déstabilisante : le futur ne se prédit pas, il se construit et il faut le construire à sa façon. Innovation, autonomie, risque, complexité, intelligence collective… Il invite les organisations à repenser leurs réflexes et à retrouver une puissance d’action trop souvent bridée, mais aussi à bousculer les paradigmes afin de réapprendre à décider.


Vous affirmez que la voie se construit plus qu’elle ne se prévoit. Pourquoi cette idée reste-t-elle si difficile à accepter pour les dirigeants et les organisations?

Elle est difficile à accepter parce que nous sommes prisonniers de modèles mentaux. L’un d’eux est l’idée que l’avenir doit se découvrir et se prédire. Quand on adopte un paradigme de prédiction, on considère que le futur s’impose à nous : il sera comme ceci ou comme cela. La croyance sous-jacente est que notre succès dépend de notre capacité à correctement prédire ce futur ou à comprendre les prédictions faites par d’autres. Ce modèle implique qu’il existe une “voie” à découvrir ; si je la trouve, je pourrai me positionner correctement. On retrouve cette logique dans de nombreux modèles stratégiques : par exemple, Michael Porter insiste sur l’importance du “fit”, qui consiste à se trouver au bon endroit, au bon moment, avec les bons choix stratégiques, dans un environnement que l’on n’est pas censé pouvoir influencer.

À l’inverse, une vision plus entrepreneuriale considère que le futur peut être créé. Nous pouvons exercer un certain contrôle sur ce qui va se passer. Je cite souvent l’exemple de Starbucks : dans les années 1980, la consommation de café aux États-Unis est en déclin depuis vingt ans. Logiquement, Starbucks aurait dû conclure que les perspectives étaient mauvaises, qu’il vaudrait peut-être mieux réfléchir à l’élaboration d’un nouveau soda…etc. Bien au contraire, ils se disent : “la consommation est en déclin, mais nous pouvons changer cela.” Ils décident alors de réinventer l’expérience du café pour le consommateur américain et tracent ainsi leur propre voie.

Il existe donc une tension entre un paradigme de découverte et un paradigme de création.

Un deuxième point explique cette difficulté, particulièrement aujourd’hui : nos modèles sont fragilisés. Les changements brutaux dans les modèles économiques, les modes de travail ou les dynamiques sectorielles rendent nos schémas obsolètes. Cette fragilisation accroît la peur. On se dit alors : “Mieux vaut faire comme les autres, eux doivent savoir.” Cela favorise le mimétisme. Quand nous doutons de nos modèles, nous accordons plus de poids aux “feux extérieurs” — consultants, gourous, « best practices » présentées comme obligatoires — qui renforcent l’idée qu’il existe une bonne voie à suivre. La peur de se démarquer rend encore plus difficile l’idée de tracer sa propre voie dans l’incertitude, pourtant indispensable.

Vous affirmez que la “bonne décision” n’existe pas. Comment un décideur peut-il assumer l’imperfection de ses choix tout en conservant la confiance de ses équipes?

La “bonne décision” n’a de sens que par rapport à un référentiel. Dans le sport, on peut dire qu’une décision n’était pas bonne parce que le joueur n’a pas marqué ou n’a pas fait la bonne passe. Le référentiel est clair. Dans le monde des affaires, c’est beaucoup plus complexe. Une décision ne se résume pas à un choix unique : on prend en réalité une série de décisions. Lancer un produit implique des centaines de décisions sur le produit, sa distribution, sa communication, etc. On est dans un processus de construction.

La bonne décision, c’est faire en sorte que ce que l’on décide devienne bon. L’exemple de Nespresso est parlant : les études de marché étaient négatives. Tout le monde jugeait le concept sans intérêt. Lancer le produit était “une mauvaise décision” selon les critères classiques. Pourtant, en œuvrant pour convaincre le public de l’intérêt du concept, Nestlé a rendu cette décision bonne.

En incertitude, la décision est plus proche du design que du choix. Dans un restaurant, choisir entre pizza ou choucroute est une décision parmi des options préexistantes. En innovation ou en entrepreneuriat, il s’agit plutôt d’action créatrice : créer un marché, des préférences, un usage qui n’existaient pas. On ne choisit pas parmi des options : on construit les options.

Beaucoup d’entreprises disposent de talents mais peinent à les libérer. Qu’est-ce qui, selon vous, bride le plus le déploiement des compétences dans les organisations?

Le sujet est immense. Cependant l’un des facteurs essentiels est le rapport au risque. Une organisation doit gérer son risque, mais elle le comprend souvent mal. Elle cherche essentiellement à éviter les erreurs. On oublie le “risque d’opportunité” : le risque de ne pas faire quelque chose qui aurait pu fonctionner.

Les grandes organisations se focalisent sur l’évitement de l’erreur, ce qui peut se comprendre. Mais plus elles cherchent à éviter les erreurs, plus elles augmentent le risque de passer à côté d’opportunités importantes. L’excès de contrôle du risque devient paradoxalement une prise de risque massive : ne pas se renouveler, ne pas innover, ne pas écouter une bonne idée de Dupont parce que “Dupont pourrait se tromper”.

On retrouve cette logique à l’échelle sociétale avec le principe de précaution : un principe qui part d’une bonne intention mais qui, appliqué de manière excessive, empêche l’innovation et génère un risque bien plus grand. Le risque de ne pas inventer ce qui pourrait nous sauver devient supérieur au risque de commettre une erreur.

Les entreprises doivent protéger leur existant, mais un excès de prudence devient l’un des plus grands freins au déploiement des talents et à la création du futur.

Innovation et performance fonctionnent souvent sur des logiques différentes. Comment un dirigeant peut-il concilier exploitation du présent et exploration du futur?

Je n’oppose pas innovation et performance. La performance est parfois critiquée comme une fuite en avant, mais elle est essentielle. Une entreprise qui n’est pas performante ne peut pas innover. Et une entreprise qui n’innove pas ne peut pas être performante durablement.

L’excès de contrôle du risque devient paradoxalement une prise de risque massive : ne pas se renouveler, ne pas innover, ne pas écouter une bonne idée.

La performance concerne l’amélioration de l’existant : coûts, processus, formation, qualité. L’innovation concerne la préparation du futur. Il existe une tension entre les deux, surtout dans les organisations très centrées sur la performance à court terme, ce qui peut empêcher la construction du futur.

Une réponse organisationnelle efficace consiste à séparer l’exploitation et l’exploration. On crée des entités autonomes : intrapreneuriat, équipes d’innovation, start-up internes. Ces entités sont protégées des impératifs du quotidien et, en même temps, elles protègent l’opérationnel de leurs propres expérimentations.

Nespresso est un exemple emblématique : logée dans une entité autonome, la marque a pu développer un modèle d’affaires radicalement différent de celui de Nestlé, sans être étouffée par les contraintes du groupe.

Les collaborateurs demandent à la fois plus d’autonomie et plus de sens. Les organisations traditionnelles sont-elles capables de répondre à cette double aspiration?

Je ne pense pas qu’il faille opposer autonomie et sens. Le monde change tellement vite que nos modèles explicatifs traditionnels — business, personnels, religieux, philosophiques — n’offrent plus de réponses satisfaisantes. Cela crée une quête de sens.

Cette quête est souvent formulée comme la nécessité, pour les dirigeants, de donner du sens aux collaborateurs. C’est dangereux. L’une des causes de la perte de sens vient justement du top-down. Le collaborateur se sent dépossédé de son autonomie.

La perte de sens provient souvent du manque d’autonomie. La solution n’est pas que le patron “donne du sens” aux collaborateurs, comme un paysan distribue du grain à ses poules. Ce modèle ne fonctionne plus. Les collaborateurs sont éduqués, informés, conscients de la complexité du monde : ils ne veulent pas qu’on leur impose un sens.

L’enjeu est de recréer du sens collectivement. De dire : “Voilà comment nous allons construire du sens ensemble, dans un monde où les explications historiques sont obsolètes.” C’est, selon moi, la base du leadership contemporain.

Dans un monde saturé de complexité, pourquoi multiplier les process, comités et analyses est-il souvent contre-productif?

La complexité nous inquiète. Beaucoup d’entreprises affirment que leurs process sont trop complexes et doivent être simplifiés. Cette inquiétude active un modèle mental : plus il y a de complexité, plus il faut de contrôle. C’est illusoire.

Toute organisation humaine est complexe. Il n’existe pas d’organisation simple. La vie à deux est déjà très complexe, et nous avons des millénaires de littérature sur le sujet ; alors une entreprise de 60 000 personnes ne peut pas être simple.

L’enjeu n’est pas de réduire la complexité — même si des excès peuvent être corrigés — mais de la réguler. Si l’on veut des collaborateurs autonomes, capables de prendre des initiatives, il faut leur laisser un espace d’action, un champ relativement flou. Cela implique d’accepter une part d’ambiguïté.

Une organisation est un collectif humain complexe, traversé de tensions. Il ne peut pas exister de collectif sans conflit. L’enjeu est que ces conflits ne dérapent pas en affrontement mais qu’ils deviennent créatifs. En art, la créativité naît souvent d’une tension. Il en va de même pour les organisations.

La complexité n’est pas synonyme d’impuissance : elle peut devenir un moteur de créativité et d’autonomie.

Vous évoquez la nécessité d’une véritable intelligence collective. Qu’est-ce qui distingue cette intelligence collective authentique d’un simple slogan managérial?

Le terme “intelligence collective” risque effectivement de devenir un slogan managérial. En réalité, c’est presque un pléonasme : un collectif humain implique nécessairement de la collaboration.

En art, la créativité naît souvent d’une tension. Il en va de même pour les organisations.

L’enjeu, au cœur même du management, est de faire en sorte que le collectif soit à la fois suffisamment homogène pour travailler ensemble — langage commun, culture commune — et suffisamment divers pour tirer parti de la richesse des profils. C’est une tension permanente entre homogénéité (sans laquelle il n’y a pas d’action collective) et diversité (sans laquelle il n’y a plus de créativité).

Cette diversité est principalement cognitive : approches, expériences, cultures différentes.

Un collectif devient intelligent lorsque ses tensions internes sont bien régulées : pas de dérapage en opposition personnelle, mais des désaccords créatifs.

S’il y a trop d’homogénéité, il n’y a plus de renouvellement. S’il y a trop de diversité, on ne produit plus de résultats. Il faut maintenir la tension, sans règle fixe : parfois plus d’homogénéité, parfois plus de diversité, selon les phases.

C’est un équilibre à gérer en permanence, ce qui rend le management profondément incertain.

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