Comme largement anticipé, la Réserve fédérale (Fed) a abaissé ses taux d’intérêt pour la troisième fois consécutive, portant le taux des Fed Funds à 3,5–3,75%. Nous considérons qu’il s’agit d’une « baisse modérément restrictive »: la Fed a maintenu une posture prudente, moins restrictive dans son langage que ce que certains acteurs du marché redoutaient. Voici nos principaux enseignements de cette réunion:
- Hausse des dissensions: Le nombre de votes dissidents a atteint son plus haut niveau depuis 2019, même si le résultat aurait pu être encore plus partagé.
- Forte dispersion des anticipations de taux: Le graphique des anticipations pour 2026 («dot plot») révèle un écart de 200 points de base (pb) entre les membres du FOMC, illustrant une incertitude significative et une polarisation sur l’équilibre entre soutien au marché du travail et maîtrise de l’inflation. À noter: un membre anticipe six baisses de 25 points de base (pb), tandis que trois prévoient des taux plus élevés d’ici fin 2026.
- La barre pour de nouvelles baisses est élevée : Le président Jerome Powell a insisté sur la nécessité de disposer de plus de données, notamment sur l’emploi, avant d’envisager de nouvelles baisses. Les nombreuses références à la « neutralité » (une douzaine de fois) soulignent l’approche prudente de la Fed, d’autant plus dans le contexte des récents retards de publication des données après la fermeture du gouvernement.
La neutralité comme ligne de crête
Les membres du FOMC n’anticipent qu’une seule baisse supplémentaire en 2026, ce qui correspond à notre scénario pour une normalisation progressive. Le marché en intègre actuellement deux, contre près de trois il y a quelques semaines.
Nous avons constamment mis en garde contre des attentes trop optimistes concernant un assouplissement agressif, compte tenu de notre vision d’une économie et d’un marché du travail résilients.
Cependant, les spéculations autour du prochain président de la Fed—surtout s’il est plus accommodant— pourraient influencer les anticipations de marché et l’orientation de la politique monétaire. Des considérations politiques pourraient entraîner de nouvelles baisses, avec pour conséquence une pentification de la courbe des taux et un affaiblissement du dollar. Nous restons donc prudents sur la duration et l’exposition au dollar.
Gestion du bilan vs. assouplissement quantitatif
La Fed a annoncé la reprise de ses achats de bons du Trésor américain dans le cadre de la gestion de son bilan, à hauteur de 40 milliards de dollars en Treasury Bills, au moins jusqu’en avril —soit seulement 12 jours après la fin du resserrement quantitatif (Quantitative tightening ou QT). Même si la Fed distingue cette opération d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing ou QE), la réaction du marché—affaiblissement du dollar et hausse de l’or—suggère le contraire: «Ça ressemble à du QE, ça a l’odeur du QE, c’est sûrement du QE». Quelle que soit la sémantique, cette mesure accroît la liquidité.
Après Powell, le flou politique
Nous ne pensons pas que l’indépendance de la Fed soit menacée à moyen terme. À court terme, cependant, les marchés pourraient rester prudents tant que la position du nouveau président ne sera pas clarifiée. Nous sommes confiants que l’ensemble du FOMC respectera son mandat, indépendamment des changements de direction. Même si des pressions politiques existent, l’histoire montre que tout nouveau président sera attentif à son héritage et aux risques d’erreurs de politique monétaire—en particulier dans un contexte de déficits budgétaires importants.
Le «mandat social» de la Fed
Le double mandat—maximiser l’emploi et maintenir la stabilité des prix—reste un sujet de débat interne, à savoir sur lequel il faut donner priorité. La question de savoir si la Fed doit baisser ses taux dépend de plus en plus de la perspective économique de chacun: les Américains les plus aisés n’en ont pas le besoin, tandis que les ménages à plus faibles revenus pourraient en bénéficier plus directement et ont clairement besoin. Bien que cela ne fasse pas partie de son mandat officiel, la prise de conscience des inégalités sociales par la Fed pourrait devenir un sujet plus central dans les débats futurs.








