
Le 14 novembre dernier, un accord entre la Suisse et les États-Unis a été annoncé faisant grand bruit : les droits de douane américains sur les produits suisses passent de 39% à 15%. Ce geste, salué comme un «rééquilibrage bienvenu», offre un souffle nouveau au commerce helvétique, mais les défis restent nombreux.
Un soulagement ciblé mais limité
Certains secteurs suisses, notamment les machines-outils et l’horlogerie, voient dans cette baisse un espoir pour plus de compétitivité et de meilleures marges. Pour Joaquin Cascallar, CIO de Targa 5 Advisors, cette réduction «allège nettement la pression tarifaire sur certains exportateurs suisses. L’effet restera ciblé, mais pour les industries sensibles aux coûts, c’est un “rééquilibrage bienvenu” qui améliore la visibilité commerciale.»
Pour autant, l’accord n’abolit pas toutes les contraintes : selon Valentin Bissat, chef économiste de la Banque Mirabaud, « même si l’impact négatif sera moins fort que précédemment, cela demeurera difficile pour les exportations suisses à destination des États-Unis, notamment avec la force du franc suisse contre le dollar. » En effet, l’appréciation du franc, passé d’environ 0.90 à 0.80 USD au cours de 2025, peut neutraliser une partie du gain tarifaire. Et l’effet de l’annonce ne devrait pas se faire attendre, exacerbant encore davantage la paradoxale toute-puissance du franc. Pour certains secteurs, une hausse de 5 à 7 % du franc effacerait jusqu’à la moitié de l’avantage compétitif regagné par la baisse des droits.
Secteurs et enjeux géopolitiques
Pour Bruno Jaquier, chef économiste d’Altitude Investment Solutions, la portée est concrète: « Ce n’est pas marginal du tout », rappelle-t-il, soulignant que les flux concernés représenteraient jusqu’à 1,3 % du PIB suisse. Et l’horlogerie apparaît comme « la grande gagnante » du compromis tarifaire.
Au-delà du simple ajustement commercial, l’accord révèle un objectif plus large : il montre que la politique tarifaire reste un « instrument géo-économique » de premier plan, et s’inscrit dans une logique de « diplomatie transactionnelle », comme la nomme Valentin Bissat. Il ne s’agit pas uniquement de commerce, mais d’un repositionnement stratégique dans la relation bilatérale.
Il ne s’agit pas uniquement de commerce, mais d’un repositionnement stratégique dans la relation bilatérale.
Diplomatie privée et capitaux
Un aspect mérite une attention particulière : la montée de ce que Joaquin Cascallar qualifie de « diplomatie économique menée par les entreprises ». Il affirme que la visite des patrons suisses aux États-Unis « a probablement contribué à rappeler l’importance des flux bilatéraux. »
Valentin Bissat nuance : « Le timing de la rencontre laisse évidemment penser que cette diplomatie privée a permis, a minima, à ces négociations de se passer dans un cadre plus apaisé. »
Ce qui reste en suspens
L’accord est encourageant, mais plusieurs zones d’ombre persistent. Comme le souligne Hans Gersbach1, codirecteur du KOF Swiss Economic Institute à l’ETH Zurich, plusieurs questions fondamentales demeurent. Le premier point concerne l’incertitude juridique, puisque tant que les bases légales américaines ne sont pas formalisées, le nouveau taux ne peut être considéré comme acquis. À cela s’ajoutent des modalités d’application encore floues : ni le calendrier précis, ni l’étendue définitive des biens concernés ne sont pleinement clarifiés.
S’ajoutent également des contreengagements potentiellement lourds pour la Suisse, notamment des investissements accrus aux ÉtatsUnis, certaines concessions sectorielles ou encore la reconnaissance de normes américaines. Enfin, la force du franc, dont la robustesse face au dollar réduit mécaniquement une partie des bénéfices attendus du nouvel accès tarifaire, restera un vent contraire couteux pour les PME exportatrices.
Perspectives
L’accord Suisse–États-Unis marque une avancée notable pour la place économique helvétique. Il corrige une anomalie tarifaire et offre un horizon plus favorable, surtout pour les secteurs les plus exposés. Mais il rappelle aussi la fragilité des équilibres commerciaux modernes : entre fluctuations de devises, engagements bilatéraux et diplomatie économique, la compétitivité suisse dépend d’un ensemble de facteurs qui dépassent largement la seule fiscalité douanière.







