Après deux décennies de croissance ininterrompue, le secteur s’est brutalement confronté à une double réalité. D’un côté, des voyageurs toujours plus nombreux – l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) prévoit 1,8 milliard de touristes internationaux d’ici 2030. De l’autre, des territoires fragilisés par la surfréquentation, des habitants de plus en plus exaspérés entre autres par la pression immobilière, et une planète qui en paie le prix: le tourisme représente environ 8 % des émissions mondiales de CO₂.
Un modèle qui a démontré sa sensibilité
Une récente étude de Stefan Gössling, professeur à l’Université de Linné en Suède et consultant pour l’ONU et la Banque mondiale, évoque ce scénario du “non-tourisme” où voyager à l’étranger pourrait devenir l’exception plutôt que la règle. Tous les professionnels du secteur ont encore à l’esprit que lors de la crise du COVID-19, les arrivées internationales ont chuté de 70 % en huit mois, soit 700 millions de voyages perdus et plus de 700 milliards de dollars de recettes envolés. Ces chiffres illustrent à quel point notre modèle est vulnérable et ne peut plus s’appuyer sur une croissance infinie.
Les talents, un enjeu stratégique
À la fragilité climatique et météorologique au coeur de la thèse du chercheur s’ajoute une autre urgence: le manque de talents. Selon le World Travel & Tourism Council (WTTC), près de 62 millions d’emplois dans l’hôtellerie et le tourisme ont été perdus en 2020. Si le secteur a rebondi, il peine aujourd’hui à recruter: en France voisine, l’Union des métiers et industries de l’hôtellerie (UMIH) estime qu’il manquerait chaque année environ 200 000 postes; d’après une enquête de HotellerieSuisse, 44 % des établissements hôteliers suisses déclarent des difficultés de recrutement dans les hôtels et restaurants, essentiellement des postes saisonniers ou à rotation élevée. Cette situation, valable pour l’ensemble du secteur, freine la qualité de l’accueil et limite la capacité des destinations à se réinventer durablement. Cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée met en lumière le besoin d’attirer, de former et de retenir une nouvelle génération de professionnels capables de conjuguer hospitalité, durabilité et innovation.
Certaines villes en ont déjà tiré les leçons. Par exemple, Venise a instauré une taxe d’accès journalière, Barcelone limite l’ouverture de nouveaux hôtels et Amsterdam restreint les locations touristiques. Ces décisions annoncent une mutation profonde: voyager ne sera plus un droit illimité mais une expérience repensée, encadrée, plus rare – et donc plus précieuse.
Faire de la coordination une puissance collective
Plutôt que de subir cette transition, nous devons l’anticiper collectivement. Gouvernements, entreprises, institutions académiques, fondations et société civile: chacun a un rôle à jouer. Les politiques publiques doivent fixer des seuils réalistes de fréquentation et soutenir les communautés locales. Les acteurs privés doivent investir dans des modèles plus sobres et connectées aux communautées locales: hôtels neutres en carbone, mobilité douce, gastronomie locale. Les institutions académiques, ont la responsabilité de préparer une nouvelle génération de managers qui placent l’impact social et environnemental au cœur de leurs décisions.
Mais rien de tout cela ne tiendra sans la participation active des voyageurs. Voyager demain, c’est accepter de payer le juste prix, de rester plus longtemps plutôt que de multiplier les city-breaks polluants et surtout de respecter les populations locales.
Cette mutation n’est pas une punition. C’est une formidable opportunité de redonner au voyage son sens premier: la découverte, la rencontre, l’émerveillement, l’apprentissage. L’ère du “non-tourisme” n’est pas celle de la fin du voyage, mais de sa réinvention. Et c’est ensemble – institutions, entreprises et citoyens – que nous devons bâtir cette nouvelle manière de découvrir le monde.