Face aux bouleversements induits par l’intelligence artificielle, les entreprises n’ont plus d’autre choix que de repenser leurs modes de fonctionnement et de former leurs collaborateurs à cette nouvelle réalité. Pour Yann Zurkinden, fondateur d’IAcademie.ch, l’enjeu n’est pas d’enseigner un énième outil, mais d’initier un changement culturel en profondeur. Rencontre avec un entrepreneur lucide, passionné et convaincu que la curiosité est la compétence-clé de demain.
Propos recueillis par Mélina Neuhaus
Pourquoi avoir fondé IAcademie ? Quelle est l’ambition derrière ce projet ?
Nous avons fondé IAcademie avec une conviction forte : dans un monde où la technologie évolue à une vitesse inédite, chacun doit apprendre à réapprendre. En Suisse, le modèle éducatif demeure encore très linéaire, avec une formation initiale et une carrière, puis parfois une formation continue. Nous pensons qu’il faut sortir de ce schéma. L’ambition de l’IAcademie est de proposer un environnement propice à l’expérimentation, à l’apprentissage actif et à la transmission entre pairs. Au-delà d’un centre de formation classique, notre académie est une plateforme vivante pour les esprits curieux, prêts à évoluer constamment.
Assiste-t-on à une révolution comparable à celle d’internet ?
Je dirais que c’est plus profond encore. À mon sens, l’IA est une révolution comparable à celle de l’électricité. Là où internet a démocratisé l’information, l’IA démocratise l’intelligence. Elle permet à chacun d’élargir son spectre d’action. Mais son adoption reste encore marginale. Beaucoup d’entreprises n’ont pas encore mesuré l’ampleur des transformations à venir.
L’IA fait peur à de nombreuses entreprises. Comment lever ces freins ?
La peur vient souvent de l’ignorance ou de la complexité perçue. Notre méthode est simple : proposer une expérience directe et valorisante. Lors d’une formation, nous demandons aux participants, même sans bagage technique, de créer une application en quelques heures. Ce défi les confronte à leurs propres ressources, les sort de leur zone de confort, mais surtout leur prouve qu’ils sont capables. Ce déclencheur est fondamental.
« Une culture d’entreprise qui valorise le partage, accepte l’échec et encourage l’exploration sera mieux armée face aux bouleversements à venir. »
Quelles sont les compétences-clés à développer dans ce nouveau contexte ?
L’adaptabilité, la capacité à apprendre par soi-même, à tester, à échouer. La curiosité est sans doute la qualité la plus précieuse. Une culture d’entreprise qui valorise le partage, accepte l’échec et encourage l’exploration sera mieux armée face aux bouleversements à venir. L’enjeu, ce n’est pas de maîtriser un outil en particulier, mais de construire une posture. Contrairement aux idées reçues, l’IA est une technologie extrêmement accessible. Elle interagit en langage naturel et s’adapte au niveau de chacun.
À quoi ressemble une formation efficace pour des non-spécialistes ?
Elle repose sur deux piliers : une démystification rapide mais claire de la technologie, suivie immédiatement d’une mise en pratique. Construire un projet concret comme une application, un prototype ou un scénario d’automatisation permet d’ancrer l’apprentissage. Nos formations s’adressent autant aux comités de direction qu’aux équipes IT ou aux métiers de terrain. Ce qui compte, c’est la volonté de s’engager.
Avec quels types de profils ou de départements travaillez-vous ?
Les directions générales veulent comprendre les implications stratégiques. Les équipes techniques, souvent déroutées par cette technologie peu centrée sur le code, cherchent à se repositionner, et les collaborateurs métiers viennent avec leurs besoins concrets. Ce qui nous intéresse surtout, ce sont les profils locomotives, à savoir ceux qui, au sein d’une entreprise, peuvent insuffler une dynamique nouvelle.
« L’erreur des entreprises ? Miser sur les outils avant de transformer les mentalités. »
Avez-vous des exemples concrets d’organisations que vous avez accompagnées ?
Nous avons accompagné plus de quarante entreprises, de tailles et de secteurs variés. Un exemple marquant est celui d’un groupe spécialisé dans la maintenance ferroviaire : un assistant de direction y a créé une application no-code pour signaler les problèmes de qualité sur le terrain, en intégrant des fonctionnalités IA. C’est un bel exemple de transformation de la pratique métier.
Quels sont les écueils que vous observez fréquemment ?
Beaucoup d’entreprises investissent massivement dans des solutions IA sans avoir préparé le terrain. Résultat : des outils sous-utilisés, des collaborateurs déroutés, et un effet déceptif. L’IA n’est pas une baguette magique. Elle exige une remise en question de la gouvernance, des stratégies internes et de la culture d’apprentissage.
Craignez-vous que l’IA remplace les humains ?
Non, mais elle remplacera des tâches. Et c’est une bonne chose. Cela nous permettra de redonner du sens, de la créativité et de l’émotion à ce que fait l’humain. Un bon exemple : nous avons récemment travaillé avec une agence pour revoir l’identité visuelle de l’IAcademie. Rien ne vaut l’intuition et la sensibilité humaine dans ce type de démarche. Je pense que les entreprises qui sauront remettre l’humain au cœur de leur organisation sortiront renforcées de cette transition.
Comment intégrer l’IA dans une logique éthique et responsable ?
Cela commence par la sobriété technologique et ne pas injecter de l’IA là où elle n’est pas nécessaire. Il faut aussi intégrer des critères écologiques et sociaux. Et enfin, renforcer l’esprit critique : savoir quand utiliser l’IA, mais surtout savoir quand ne pas l’utiliser. C’est cela, la véritable compétence de demain.
Le monde de l’éducation et de la formation continue est-il prêt ?
Clairement pas. Le système éducatif peine à suivre la cadence. Les programmes sont figés sur plusieurs années alors que les technologies évoluent chaque trimestre. Ce que nous proposons chez IAcademie, c’est une alternative plus souple et plus agile. Une école des « nouveaux métiers », comme j’aime l’appeler.
«L’IA ne remplacera pas l’humain. Elle recentrera la valeur sur l’humain.»
Quels sont vos projets à venir ?
Nous venons de lancer un bootcamp en ligne sur l’automatisation, avec certification à la clé. Nous développons également des parcours thématiques plus structurés, une application mobile à la manière de Duolingo, et collaborons avec plusieurs grands groupes suisses. Notre objectif est clair : devenir une référence de la formation en IA appliquée, avec une forte dimension humaine.
Quel conseil donneriez-vous à un dirigeant qui ne sait pas par où commencer ?
Ne cherchez pas à tout comprendre ou tout maîtriser. Entourez-vous de profils curieux, testez et expérimentez. Et surtout, ne vous focalisez pas sur les outils, mais sur les usages. L’IA est un formidable levier de transformation à condition de commencer par transformer votre propre regard sur le changement.