Alors que les entreprises suisses placent désormais la technologie au cœur de leurs priorités stratégiques, la nouvelle étude de Deloitte révèle une accélération nette de l’usage de l’intelligence artificielle au service de la durabilité. Avec un taux d’adoption supérieur à la moyenne mondiale et des investissements en hausse, la Suisse se distingue. Mais un défi persiste : mesurer l’impact environnemental réel des actions menées. Liza Engel1, Chief Sustainability Officer de Deloitte Suisse, décrypte les enseignements clés du C-Suite Sustainability Report 2025.
Votre nouvelle étude montre que les entreprises suisses misent massivement sur la technologie pour accélérer leur transition durable. Quel est le principal enseignement à retenir ?
Le résultat le plus frappant est la place qu’occupe désormais la technologie dans la stratégie des entreprises suisses. Et surtout, 88 % des entreprises interrogées utilisent déjà l’intelligence artificielle pour atteindre leurs objectifs environnementaux, un taux supérieur à la moyenne mondiale. Cette priorisation de la technologie n’est pas une fin en soi, mais un moyen essentiel pour accélérer la transition écologique et atteindre des objectifs climatiques mesurables.
Concrètement, comment les entreprises utilisent-elles aujourd’hui l’IA pour leurs objectifs de durabilité ?
Les usages se concentrent sur des domaines très opérationnels. L’IA est utilisée pour optimiser la chaîne d’approvisionnement (53 %), améliorer l’efficacité opérationnelle (53 %), développer des produits plus durables (50 %) et renforcer le reporting ESG (47 %). Nous voyons que l’IA devient un véritable levier d’intégration des indicateurs environnementaux dans les systèmes existants.
Malgré ce niveau élevé d’adoption technologique, un défi persiste : la mesure de l’impact environnemental. Pourquoi est-ce si difficile ?
C’est effectivement le principal obstacle cité par un quart des dirigeants suisses. La difficulté réside dans la collecte de données, surtout lorsqu’il s’agit de suivre l’empreinte environnementale tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Les entreprises suisses investissent massivement: 87 % ont augmenté leurs dépenses dans la durabilité l’année dernière, plus que la moyenne mondiale.
La bonne nouvelle est que les solutions technologiques progressent rapidement, permettant d’intégrer ces données dans les systèmes commerciaux et d’automatiser leur suivi.
L’étude montre aussi un décalage entre les priorités suisses et celles du reste du monde, notamment dans la manière d’évaluer les mesures de durabilité. Comment l’expliquez-vous ?
C’est un point sensible. En Suisse, 36 % des dirigeants placent la protection de la marque, la propriété intellectuelle et la gestion des risques en tête des critères décisionnels, alors que seulement 18 % priorisent l’impact environnemental direct. À l’échelle mondiale, c’est exactement l’inverse.
Nous voyons là un risque: celui que la durabilité devienne une stratégie essentiellement « réputationnelle », perçue potentiellement comme du greenwashing, si les résultats environnementaux ne sont pas mesurés et mis en avant.
Est-ce à dire que les entreprises suisses investissent dans la durabilité pour des raisons d’image plutôt que d’impact ?
Les entreprises suisses investissent massivement: 87 % ont augmenté leurs dépenses dans la durabilité l’année dernière, plus que la moyenne mondiale. Et les bénéfices existent : 58 % constatent un impact positif sur leur chiffre d’affaires, 55 % une réduction des coûts.
Mais il est essentiel que ces investissements se traduisent aussi par des résultats environnementaux mesurables, pas seulement par des avantages intangibles comme la réputation.
Justement, ces investissements se traduisent-ils en intégration de la durabilité dans les processus internes ?
Oui. 83 % des entreprises suisses ont intégré la durabilité dans l’ensemble de leurs processus commerciaux, ce qui représente une progression notable par rapport aux années précédentes. Nous dépassons la simple logique de conformité : la durabilité devient une composante stratégique du fonctionnement de l’entreprise.
Le changement climatique semble moins présent dans les priorités. Faut-il s’en inquiéter ?
Même si la pression externe baisse, l’enjeu reste majeur. 70 % des dirigeants suisses s’attendent encore à des effets significatifs sur leur stratégie dans les trois prochaines années. Ils citent notamment la hausse des coûts des matières premières et l’impact croissant des événements météorologiques extrêmes.
La durabilité doit être mesurée pour être crédible.
Là encore, la technologie joue un rôle clé : elle permet d’anticiper, mesurer et renforcer la résilience opérationnelle.
Votre étude montre également que les actionnaires exercent très peu de pression en Suisse. Comment l’interprétez-vous ?
Seuls 34 % des dirigeants suisses ressentent une pression notable de la part des actionnaires, contre 58 % au niveau mondial. Cette diminution de pression pourrait refléter une évolution positive : la durabilité n’est plus vue comme une initiative séparée mais comme partie intégrante de la stratégie d’entreprise. C’est une opportunité de se transformer de manière proactive, d’investir dans des technologies durables et de gagner un avantage compétitif à long terme.
Si vous deviez retenir un message clé pour la suite ?
Les entreprises suisses ont compris que la durabilité doit être mesurée pour être crédible. Mais un quart d’entre elles peinent encore à mesurer leur impact environnemental réel, elles doivent aussi veiller à l’efficacité énergétique de ces technologies. L’enjeu n’est pas d’utiliser l’IA à tout prix, mais de privilégier des modèles spécialisés et efficients plutôt que des systèmes universels énergivores. C’est la façon suisse de faire : précision et efficacité. Les entreprises qui saisissent cette opportunité peuvent utiliser la technologie pour prendre des décisions plus rapides et plus éclairées, accélérant ainsi leur propre transformation durable.
- Liza engel est Chief Sustainability Officer de Deloitte Suisse et membre de la direction. Elle supervise les avancées de la stratégie WorldClimate de Deloitte en Suisse qui encourage les choix climatiques responsables de notre entreprise et soutient notre trajectoire net zéro. Elle assure la direction transversale des services de durabilité de Deloitte Suisse, y compris la gestion de sa direction stratégique et la conduite de changements critiques en phase avec l’évolution du paysage du développement durable. Elle était auparavant Chief People Officer, fonction dans laquelle elle a dirigé la division People & Purpose au travers d’une transformation agile. Elle peut se targuer de plus de vingt ans d’expérience en stratégie de transformation, doublés d’une expertise en efficacité organisationnelle, en transformation numérique et en design de l’expérience utilisateur.
Elle est animée par une passion pour la diversité, l’équité et l’inclusion, de même que pour l’amélioration des conditions des communautés que nous desservons. Elle a été le fer de lance de la plateforme de volontariat de Deloitte Suisse et est une bénévole active qui concentre son action sur l’autonomisation des leaders de demain. ↩︎












