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« Le leadership, c’est avant tout une fonction » – entretien avec CHRISTOPHE GENOUD

  • 17 novembre 2025
« Le leadership, c’est avant tout une fonction » – entretien avec CHRISTOPHE GENOUD

Christophe Genoud.

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DANS UN MONDE SATURÉ DE BUZZWORDS — AGILITÉ, RÉSILIENCE, LEADERSHIP, SENS, BONHEUR AU TRAVAIL — CHRISTOPHE GENOUD A TRANCHÉ. ENSEIGNANT À L’EPFL, ESSAYISTE ET FIN OBSERVATEUR DES DÉRIVES MANAGÉRIALES, IL DÉMONTE LES ILLUSIONS QUI GOUVERNENT AUJOURD’HUI LES ORGANISATIONS. POUR MARKET, IL REVIENT SUR LE FOSSÉ ENTRE LE DISCOURS ET LE RÉEL, LES DANGERS DU STORYTELLING CORPORATE, LA MONTÉE DES “BULLSHIT MANAGERS” ET LES EFFETS À VENIR DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE SUR NOS FAÇONS DE DIRIGER. UNE CONVERSATION LUCIDE, PARFOIS DÉRANGEANTE, MAIS ABSOLUMENT NÉCESSAIRE POUR QUICONQUE PILOTE UNE ORGANISATION OU INVESTIT DANS SA PERFORMANCE.

Qu’est-ce qui vous a conduit à dénoncer les illusions du management contemporain, et quel est selon vous le plus grand malentendu qui persiste autour du management “moderne”?

Lorsque l’on m’a proposé de renouer avec l’enseignement du management, après des années de pratique, je me suis mis à jour avec la littérature managériale contemporaine et j’ai consacré plus de temps aux réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn. Et ce que j’y ai trouvé m’a atterré. J’ai donc commencé à écrire, d’abord sur un blog, puis dans un livre, pour déconstruire et dénoncer les âneries managériales autour du leadership et du management. Cela m’a permis d’identifier un point commun à l’ensemble de ces fadaises et qui représente un grand malentendu, soit l’idée selon laquelle le management serait une affaire de «mindset» ou d’état d’esprit. Et qu’il suffirait de changer ce qu’il y a dans la tête des gens pour qu’une organisation se transforme. C’est une illusion mortifère.

Plutôt que de réduire les normes et les process, car il est impossible de s’en passer, on invente des hochets managériaux (bonheur au travail, etc.) qui visent à transformer le dernier territoire encore à conquérir : l’individu.

Comment en est-on arrivé à ce décalage entre ce que le management promet et ce que les organisations produisent réellement?

Nos organisations publiques ou privées n’ont jamais été plus bureaucratiques qu’aujourd’hui. On encadre l’activité des travailleurs par d’insubmersibles process, procédures, directives, check-lists, KPI, bref toute une palette de dispositifs pour s’assurer de la soumission des individus aux règles, réduisant toujours plus leur autonomie et leur marge d’initiative. Le numérique a joué un rôle accélérant dans ce mécanisme de bureaucratisation. Et l’on s’étonne ensuite que l’innovation et l’agilité ne soient pas au rendez-vous… Alors que fait-on ? Plutôt que de réduire les normes et les process, car il est impossible de s’en passer, on invente des hochets managériaux (bonheur au travail, etc.) qui visent à transformer le dernier territoire encore à conquérir : l’individu.

Quand vous échangez avec des dirigeants, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans leur rapport aux modes managériales?

Ils en sont pour la plupart très friands. Non pas parce qu’ils y adhèrent nécessairement, mais parce qu’ils sont victimes d’un phénomène bien connu des sciences de l’organisation qu’est « l’isomorphisme institutionnel », soit le mécanisme de conformisme et de diffusion par copie des pratiques entre organisations dans un secteur, un pays ou un marché particulier. Mais plus fondamentalement, ils sont souvent démunis et en quête de solutions rapides à leurs problèmes de «résistance au changement», d’agilité ou d’engagement. Ils se tournent alors vers le marché des pratiques managériales et tombent, trop souvent, sur des solutions qui relèvent plus du bullshit que d’une béquille salutaire.

Quelles modes ou approches managériales nuisent aujourd’hui le plus à la performance et à la gouvernance?

Les méthodes qui focalisent leur intervention sur les individus et celles qui « surpsychologisent » le management, comme la « bienveillance », au détriment des approches qui tiennent compte de ce qu’une organisation est réellement, soit un lieu qui, comme disait Michel Crozier, « est le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul ». Nous avons aujourd’hui, tant dans la pratique que dans la littérature managériale, oublié les organisations. On bourre le crâne des dirigeants et des managers avec des techniques, des outils, des hochets managériaux, mais on ne leur a pas donné de grille de lecture sociologique ou anthropologique de leur organisation. Résultat : ils appliquent le dernier bidule à la mode et ils s’étonnent que cela ne marche pas aussi bien qu’attendu. Une partie de l’explication tient à cette myopie organisationnelle du management contemporain.

Faire croire que tout le monde peut devenir un « leader inspirant » est une idiotie.

Le leadership « inspirant » est devenu un dogme. Pourquoi est-ce, selon vous, une illusion dangereuse?

Parce que faire croire que tout le monde peut devenir un « leader inspirant » est idiot. Cette croyance consiste en la construction d’un double, comme le dirait le philosophe Clément Rosset : une fable attrayante, séduisante et narcissiquement valorisante. Le leadership, avant d’être une qualité individuelle réelle, c’est une fonction. C’est accomplir une série de fonctions au sein et pour l’organisation. C’est, par exemple, définir le « bac à sable » de l’innovation et de l’expérimentation et ensuite protéger ce périmètre des perturbations qui viendront de l’organisation. C’est encore assumer les risques personnellement. Bref, loin de cette figure un peu puérile d’un être qui marche à trente centimètres au-dessus du sol entre Marvel et Jésus et qui inspire ses disciples, un leader est celui ou celle qui n’a qu’une seule obsession : comprendre et jouer avec son organisation, pas rayonner à coup d’authenticité ou de bienveillance.

Comment retrouver une culture du “vrai management”, qui traite le réel plutôt que les discours?

Pour provoquer un peu, je dirai qu’il faut d’abord interdire l’accès de votre organisation aux coachs et autres vendeurs de fadaises qui vous promettent la lune. Il n’y a pas de recette miracle ! Celui qui vous explique qu’en appliquant les principes du « neuromanagement » vous allez booster l’engagement de vos équipes est un charlatan. Ne le laissez pas entrer chez vous. Dans mon livre, ce que j’ai essayé de faire, c’est de réintroduire l’organisation dans le management, soit montrer que la première responsabilité d’un dirigeant ou d’un manager, c’est d’être capable de lire son organisation. Cela implique deux choses. Premièrement, oubliez l’idée selon laquelle on va résoudre les problèmes avec des méthodes et des astuces miraculeuses. On agit toujours à la marge. Deuxièmement, mettez au feu la plupart des livres et des formations de management sur le marché. Lisez des livres de sociologie des organisations, d’anthropologie, de sciences politiques et… quelques bons livres de management. Il en reste encore.

Nous ne sommes pas nous-mêmes dans nos activités professionnelles, et le « sens » n’est pas nécessairement au travail.

Quelles modes managériales actuelles seront ridiculisées dans dix ans, et qu’est-ce qui pourrait vraiment améliorer le travail des managers?

Difficile à dire. Les modes managériales ont une durée de vie variable. Et puis ce qui nous apparaît comme une disruption managériale aujourd’hui n’est souvent rien d’autre que la resucée d’une idée plus ancienne, pas nécessairement plus brillante. Prenez l’exemple de la résilience organisationnelle. Le concept n’est pas inintéressant, même si une couche importante de bullshit est venue s’incruster dessus. Eh bien, au cœur de ce concept, on retrouve, quasi mot pour mot, ce que l’on appelait, il y a trente ans, les « organisations apprenantes ».

Les managers adorent employer des notions-valises comme “résilience”, “leadership”, “valeurs”, “sens” ou “bonheur au travail”. Pourquoi ces concepts deviennent-ils des outils de brouillage plutôt que de management?

Parce qu’elles font comme si l’organisation n’existait pas. Il y a au cœur de chacune d’elles l’idée du management transformationnel, c’est-à-dire l’idée qu’en transformant les individus, leurs mindsets, on va transformer les organisations. C’est un leurre. C’est ne pas avoir une culture générale très riche en sciences sociales et en sciences de gestion que de croire cela. C’est ce que j’appelle le « jediisme », soit croire que la pensée (mindset) transforme la matière (organisation). Cela marche dans les films, mais beaucoup moins bien dans la réalité.

Imaginer que l’IA va régler nos problèmes de recrutement serait faire preuve de naïveté.

Avec l’irruption de l’intelligence artificielle, ces dérives managériales vont-elles s’amplifier — par une nouvelle couche de jargon et d’automatisation — ou l’IA peut-elle au contraire aider à assainir le management et ramener les organisations au réel?

Répondre avec assurance à ces questions sur l’IA serait bullshiter. Ce que nombre de « futurologues » en tout genre ne se gênent pas de faire… Honnêtement, je n’en sais rien. Ce qui me semble assez clair, c’est que les pronostics dont on accompagne le développement de l’IA sont formulés avec autant de certitude et de promesses de jours heureux à venir que lorsque l’on a vanté les mérites des smartphones, qui nous posent, aujourd’hui, sur le plan de la santé mentale et de nos capacités cognitives, des problèmes très concrets. Pour autant, imaginer que l’IA va régler nos problèmes de recrutement, par exemple, serait faire preuve de naïveté.

Quel message adresseriez-vous aux dirigeants, et plus généralement à tous les salariés, entrepreneurs… etc., qui aimeraient sortir du bruit pour revenir au réel?

À tous, n’oubliez pas que tout cela est un jeu social. Une organisation est une pièce de théâtre qui prend la forme d’une lutte de pouvoir. Nous ne sommes pas nous-mêmes dans nos activités professionnelles. Et le sens n’est pas nécessairement au travail. Libérons-nous de cette quête de sens qui est sur bien des plans bien plus aliénante que libératrice. Aux dirigeants : soyez obsédés par votre organisation. Émerveillez-vous ou inquiétez-vous de ce mystère qu’est l’action collective. Aux entrepreneurs : vos salariés attendent moins de vous que vous soyez un leader inspirant qu’un manager solide.


À propos de Christophe Genoud

Christophe Genoud est un spécialiste des sciences de l’organisation. Politologue de formation, il est également chargé de cours  à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et intervenant vacataire à la HES-SO. Il y explore la sociologie des organisations, les politiques publiques et les mécanismes de prise de décision qui façonnent la gouvernance contemporaine. Auteur du livre Leadership, agilité, bonheur au travail… Bullshit ! (Vuibert, 2023), il s’est imposé comme l’une des voix les plus incisives dans la critique des modes managériales. À travers son blog Les chroniques managériales, il décortique les dérives du management : injonction au bonheur, obsession du leadership inspirant, bureaucratie galopante, quête artificielle de sens. Son approche met en lumière les paradoxes des organisations modernes et plaide pour un retour à « l’art du management » : un travail exigeant, concret, ancré dans la complexité réelle plutôt que dans les slogans. Son prochain livre qui sortira en 2026 portera sur les outils d’aide à la décision managériale.

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