On a volé des bijoux au Louvre. Huit pièces royales envolées, une neuvième laissée sur place. Jusque-là, un fait divers spectaculaire, mais somme toute assez banal. Après tout, l’histoire de l’art est pleine de casses, de gentlemen cambrioleurs à cheval, en bolides décapotable, ou encore — beaucoup moins glam — aux commandes d’un monte-charge.

Par-delà le narratif et le romanesque de circonstance, le vrai spectacle est ailleurs : une avalanche d’alertes, d’éditions spéciales, de tweets indignés, de plateaux qui s’excitent. Le fait divers est devenu l’épicentre de l’indignation collective et des récupérations en tout genre – toutes, à leur manière, scandalisées par cet abominable larcin commis dans le plus grand musée du monde, en plein jour et au vu de tous… Alors, verdict ? Simple concours de circonstance, ou symbole du déclassement de la France ?
“La presse est devenue la machine à broyer l’événement pour le réduire en miettes d’opinion.” (Karl Kraus)
On ne sait plus si c’est le cambriolage qui est réel, ou l’écho, le bruit qu’il génère. À force de répéter «bijoux bijoux bijoux», on n’écoute plus rien d’autre. On croirait entendre crier la Castafiore, juste avant de s’évanouir : elle aussi a perdu les siens – de bijoux – dans le célèbre album de Tintin1.

Comme souvent chez Hergé, l’action et la parole se brouillent, puisque la boucle est absurde : un perroquet bavard et omniscient, une diva qui parle trop et qui n’écoute rien, des glissades en répétition sur l’escalier abimé de Moulinsart par lequel tous circulent, et enfin, des appels en cascade qui finissent, immanquablement, à la boucherie Sanzot.

Morale de cette histoire ?
- Personne ne parlait de ces parures avant qu’elles ne disparaissent. Elles somnolaient tranquillement dans leur vitrine, ignorées par la plupart des visiteurs.
- Qu’arrive-t-il à la communication, dans un monde ou elle se propage de manière instantanée? Elle devient pléthorique et se sature : avec le nombre se multiplient les brouillages, les inversions, les distorsions.
Quand tout va trop vite, l’information ne circule plus, elle se déforme, à l’instar de la marche cassée de l’escalier de Moulinsart, sur laquelle tout le monde passe et glisse, mais que personne n’arrive jamais à réparer, pas même le marbrier Boullu.

- Les Bijoux de la Castafiore, Hergé, 1962. Sur le thème de la politique et de la communication chez Hergé, il faut lire l’ouvrage collectif Tintin au pays des philosophes, édité et publié par Philosophie magazine en 2011. ↩︎


