FACE AUX INCERTITUDES ÉCONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES, ALORS QUE L’HORLOGERIE SUISSE TRAVERSE UNE MUTATION PROFONDE, THOMAS BAILLOD, FONDATEUR DE BA111OD, DÉFEND UNE VISION PLUS OUVERTE ET PLUS HUMAINE DU LUXE. ENTRE TRANSPARENCE, EXPÉRIENCE ET ACCESSIBILITÉ, IL SOUHAITE REDÉFINIR LES CODES D’UN SECTEUR LONGTEMPS DOMINÉ PAR LA TRADITION ET LES MARGES OPAQUES.
En tant que fondateur d’une marque horlogère suisse indépendante, comment appréhendez-vous l’impact des grandes déclarations géopolitiques sur le secteur horloger suisse, et plus particulièrement sur votre modèle de distribution directe ?
Je ne prétends pas parler au nom de toute l’industrie, mais on voit clairement un monde qui devient de plus en plus segmenté. Les États-Unis ont pris le relais de marchés déclinants comme la Chine, qui a longtemps été un moteur. Aujourd’hui, le vrai problème, ce ne sont pas les barrières tarifaires en soi, mais leur caractère temporaire ou imprévisible. Cette incertitude freine tout : on ne sait plus quand exporter ni à quel rythme, et l’attentisme, dans notre industrie, c’est le pire des scénarios. Cela renforce l’instabilité d’un marché déjà fragile.
Pour un modèle de distribution directe comme le nôtre, la taxe de 39 % s’applique sur la valeur totale, ce qui pourrait sembler pénalisant. Mais dans les faits, c’est l’inverse : depuis l’instauration de ces tarifs, nos ventes aux États-Unis ont explosé, parce que même avec ces taxes, notre offre reste plus abordable que celle de nombreuses autres marques suisses.
Vous affirmez que BA111OD est née pour « réinventer la distribution horlogère » et offrir un luxe suisse « accessible ». Dans le contexte actuel d’un franc fort, d’une inflation persistante et de marchés émergents dynamiques, comment ajustez-vous votre stratégie prix, vos volumes et vos canaux de vente ?
Chez BA111OD, le prix n’est pas multiplié par les mêmes marges qu’ailleurs. Nos modèles économiques sont construits différemment, donc nous sommes beaucoup moins vulnérables à la hausse du franc ou des composants.
En réalité, ce qui fragilise les autres acteurs nous renforce : plus le franc suisse s’apprécie, plus les marques traditionnelles deviennent chères à l’étranger, alors que notre proposition de valeur reste extrêmement compétitive. Résultat : nous gagnons des clients qui reconsidèrent leur achat initial et se tournent vers nous.
Concernant les canaux de vente, nous avons commencé à ouvrir progressivement la distribution, mais cela ne remet pas en question notre modèle ni nos prix. C’est une évolution naturelle, pas un changement de cap.

Le marché suisse du luxe, et l’horlogerie en particulier, est souvent perçu comme figé dans ses codes et ses marges. Vous venez de cette industrie, mais avez choisi un modèle plus disruptif. À l’heure où la digitalisation s’accélère et où les attentes des clients changent, comment conciliez-vous héritage suisse, artisanat et agilité numérique ?
Le digital n’est qu’un canal : il ne change rien à la manière dont nous concevons ou produisons nos montres. L’agilité numérique nous permet simplement de raconter notre savoir-faire suisse et notre artisanat autrement, avec une communication plus directe, plus transparente et en lien avec notre communauté. C’est une façon moderne de faire vivre des valeurs très traditionnelles.
Sur un plan plus large, quel est, selon vous, le rôle de marques comme BA111OD dans le rayonnement international de l’horlogerie suisse ? Est-ce un complément aux « grands noms » ou une réponse à une nouvelle donne socio-économique où les jeunes générations redéfinissent le luxe ?
On observe aujourd’hui un vrai dynamisme du côté des marques indépendantes. Alors que les grands noms du luxe se replient face à la conjoncture, les petites structures bougent, innovent et suscitent un véritable engouement.
Sociologiquement, les nouvelles générations veulent comprendre ce qu’elles achètent : l’origine, les valeurs, la transparence. C’est exactement ce que nous proposons.
Et avec la baisse du pouvoir d’achat de la classe moyenne, notre positionnement de luxe suisse accessible répond parfaitement à cette nouvelle réalité.
Dans le bassin lémanique, c’est d’ailleurs très parlant : environ deux tiers de nos ventes viennent de cette région. Et quand ceux qui connaissent vraiment l’horlogerie choisissent de porter nos montres, c’est extrêmement motivant.
On observe aujourd’hui une transformation profonde des comportements d’achat dans le luxe : les nouvelles générations, mais aussi les nouveaux riches des marchés émergents, privilégient de plus en plus l’expérience à la possession. Comment une marque comme BA111OD s’adapte-t-elle à ces nouvelles exigences émotionnelles et culturelles du luxe?
Nous avons compris depuis longtemps que le luxe ne se résume plus à la propriété d’un objet. Chez BA111OD, nos clients peuvent venir assembler leur propre montre dans notre atelier, découvrir les coulisses, comprendre les marges, échanger directement avec nous.
Nous multiplions aussi les rencontres, les déjeuners, les conférences — tout ce qui crée du lien. Le luxe d’aujourd’hui, c’est la proximité, l’expérience et la compréhension. C’est exactement ce que nous incarnons.















